Le 11 août dernier, la Cour d’appel du Québec a confirmé un jugement de la Cour du Québec ayant déclaré un employeur coupable de négligence criminelle causant la mort d’un de ses travailleurs.
Résumé de la décision CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032
Le travailleur, Albert Paradis a tragiquement perdu la vie le 11 septembre 2012 à la suite de la perte de contrôle du véhicule lourd qu’il conduisait et qui appartenait à son employeur, CFG Construction inc. La preuve présentée au cours du procès a révélé que l’employeur était informé des nombreuses défectuosités au système de freinage du véhicule qui ont entrainé sa perte de contrôle.
Dans son jugement prononcé le 14 février 2019[1], la Cour du Québec, estimant les éléments constitutifs de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle prouvés hors de tout doute raisonnable, a déclaré l’employeur coupable de l’infraction reprochée et lui a imposé[2] une amende de 345 000 $ ainsi qu’une probation de 3 ans.
Moyens d’appel
En appel, l’employeur en appelait de ce verdict de culpabilité. Les moyens d’appel invoqués par celui-ci incluaient l’application erronée de la négligence criminelle par la juge de première instance, à qui il reprochait d’avoir attribué une importance indue aux conséquences de la négligence, ainsi que l’existence de violations constitutionnelles qui auraient dû entraîner l’exclusion de certaines preuves ou l’arrêt complet des procédures.
- Application erronée de la négligence criminelle
D’entrée de jeu, la Cour d’appel rappelle les éléments essentiels de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle[3], dont était accusé l’employeur dans ce dossier. Ceux-ci sont :
- un comportement (acte ou omission de faire une chose qu’il est de son devoir d’accomplir) qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie d’autrui ou la sécurité (actus reus);
- révélant un écart marqué et important par rapport à la norme objective d’une personne raisonnable placée dans des circonstances similaires (prévisibilité objective de lésions corporelles) (mens rea); et
- qui cause la mort d’un être humain.
Après analyse du cas en espèce, la Cour d’appel a conclu que la juge de la Cour du Québec n’a pas accordé une importance indue aux conséquences de la négligence, soit le décès du travailleur, dans l’analyse de l’actus reus, mais bien sous l’angle de l’élément de faute en vue de déterminer si l’employeur a eu une conduite dénotant une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie du travailleur. Ainsi dans ces circonstances, l’omission de l’employeur d’accomplir les obligations légales qu’il avait, notamment en vertu des articles 217.1[4] et 219(1)b[5]) du Code Criminel, de l’article 51[6] de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et de l’article 519.15[7] du Code de la sécurité routière,constituait l’actus reus de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle. Le fait que cette omission révélait un écart marqué et important eu égard à une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, soit dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, constituait la démonstration de la mens rea.
- Violations constitutionnelles
Bien que la Cour d’appel admette que la demande d’accès à l’information de l’enquêteur présenté auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») constituait une fouille abusive au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, elle est d’avis que celle-ci ne justifie pas l’exclusion de la preuve ainsi obtenue, en vertu de l’article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, dans le cadre d’une enquête criminelle, l’article 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ne permettait pas à l’enquêteur d’obtenir par l’entremise d’une simple demande d’accès une copie de tous les documents rapportant les interventions et actions effectuées par les contrôleurs routiers de la SAAQ concernant l’employeur. Cependant, l’ensemble des circonstances du dossier démontrait que l’enquêteur disposait d’un autre moyen légitime pour obtenir ces informations, soit le recours à une ordonnance de communication. Ainsi vu l’incidence modérée de la violation et l’intérêt de la société à ce qu’il y ait un jugement sur le fond, la Cour d’appel estime que l’exclusion des informations obtenues déconsidérerait l’administration de la justice.
Finalement, l’employeur invoquait que la destruction des notes de l’enquêteur l’a empêché de présenter une défense pleine et entière, ce qui aurait dû entrainer un arrêt des procédures. À ce sujet, la Cour d’appel a rappelé que pour que ce moyen soit accueilli, l’employeur avait le fardeau de démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Or, la Cour a finalement conclu que malgré le degré inacceptable de négligence de l’enquêteur dans la présente affaire, l’employeur n’avait pas réussi à démontrer en quoi l’absence de ses notes a pu influencer sa capacité à présenter une défense pleine et entière.
La Cour d’appel a ainsi rejeté l’appel présenté par l’employeur.
Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de prendre tous les moyens nécessaires, et ce, en temps opportun, afin d’assurer la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs et qu’aucune négligence ou insouciance grave n’est tolérée à cet égard.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur le sujet, veuillez communiquer avec l’auteure, Sarah-Émilie Dubois.
[1] R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244
[2] Décision sur la détermination de la peine du 3 décembre 2019 – R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 7449,
[3] Article 219(1) du Code criminel
[4] Obligation de la personne qui supervise un travail de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.
[5] Infraction de négligence criminelle pour omission de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir
[6] Obligation générale de l’employeur de prendre les mesures nécessaires afin de protéger la santé des travailleurs et d’assurer leur intégrité physique et psychique.
[7] Obligation du propriétaire d’un véhicule lourd de le maintenir en bon état mécanique, de respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement.